Nature

Trois espèces rares d’Asie du Sud-Est

À l’ère de l’anthropocène où la biosphère et l’équilibre naturel sont mis à mal, les écosystèmes tentent de subsister dans un environnement en constante mutation. Issue d’une sélection naturelle impitoyable de quatre milliards d’années, les espèces au sens large représentent le patrimoine naturel du vivant qui concentre le caractère génétique acquis à travers l’évolution. Maillon à part entière, les animaux sauvages représentent un exemple parlant de la capacité adaptative du vivant. L’étude de leur population peut servir aujourd’hui de baromètre de l’état de santé d’un milieu naturel.

Au niveau du Sud-Est asiatique, l’analyse des populations de certains animaux sauvages permet de sensibiliser le grand public aux enjeux de la préservation de l’environnement. À travers cet article, coup de projecteur sur trois espèces mythiques et rares des forêts de la péninsule Indochinoise.

Le chevrotain à dos-argenté, élusif cerf-souris vietnamien

Le chevrotain à dos argenté (Tragulus versicolor), ou cerf-souris vietnamien, est l’une des plus insaisissables créatures du Centre-Sud Vietnam. Autrefois considérée comme éteinte, cette espèce de mammifères herbivores est identifiée scientifiquement pour la première fois en 1910 via quatre spécimens trouvés près de Nha Trang, à proximité du territoire des Raglaï. Elle n’est repérée de nouveau qu’à partir de 1990 lorsqu’une cinquième carcasse est recueillie durant une expédition russo-vietnamienne. C’est en 2019 que les spéculations sur sa réelle existante – dues à sa persistante invisibilité – cesse quand une équipe de scientifique parvient à le photographier.

Le chevrotain à dos-argenté ©Eric Losh

Sa physionomie

Ni souris ni cerf, ce chevrotain représente le plus petit de tous les ongulés (mammifère à sabots). De la taille d’un lapin, il mesure environ quarante-cinq centimètres de haut pour un poids de trois à cinq kg. Il se distingue par ses longs crocs et marche sur la pointe des sabots. Il tient son nom des reflets argentés qui tachent son pelage orange-brunâtre, à l’opposé du chevrotain commun, qui lui en est démuni.

Le chevrotain à dos-argenté, ou cerf-souris

Son aire de répartition

D’après les zones où les rares spécimens sont observés via des pièges photographiques, le cerf-souris semble préférer le climat de forêt sèche et d’arbustes épineux de la côte du centre-sud du Vietnam, au sein de la cordillère Annamite. De nos jours, peu d’informations transparaissent sur son existence et l’estimation de sa population reste difficile.

Son statut de conservation

Cet animal figure déjà sur le Livre rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), et représente le premier mammifère sur la liste des 25 espèces perdues les plus recherchées de la Global Wildlife Conservation.

Le lapin tigré annamite, un insaisissable lagomorphe

Frontière naturelle entre le Vietnam et le Laos, la cordillère Annamitique est un point chaud de biodiversité où prospèrent nombre de spécimens rares, et la plus forte concentration d’espèces de mammifères endémiques de la péninsule indochinoise, dont certaines nourrissent encore des mythes persistants. C’est le cas du plus insaisissable lagomorphe de la planète : le lapin tigré annamite (Nesolagus timminsi). Il tient ce nom du biologiste Rob Timmins, qui révèle son existence pour la première fois au début de l’année 1995, lorsqu’il aperçoit des peaux à l’aspect étrange sur un marché laotien de viande de brousse.

Le lapin tigré, ou lapin annamite ©Eric Losh

Sa physionomie

D’aspect similaire au lapin rayé de Sumatra (Nesolagus netscheri), un petit lagomorphe des forêts que l’on ne trouve que sur la plus grande île d’Indonésie, le lapin tigré annamite est une espèce nocturne et principalement solitaire dotée de petites pattes et oreilles, et d’une queue réduite, au pelage chamois strié de rayures dorsales marron-noir jusqu’à l’arrière-train et d’une croupe de couleur rouille – une caractéristique sans pareil chez les autres lagomorphes d’Asie du Sud-Est continentale.

Deux lapins tigrés photographiés dans le parc national de Pu Mat au Vietnam

Son aire de répartition

Selon le peu d’informations récoltées des biologistes, il vie uniquement dans les forêts tropicales humides à feuilles persistantes des montagnes annamites qui bordent la frontière Laos-Vietnam, celles qui n’ont peu ou pas de saison sèche. Son aire de répartition connue ne démontre aucune préférence altitudinale et s’étend du nord au centre de la chaîne Annamitique, y compris les parcs nationaux de Pu Mat, de Phong Nha-Ke Bang, et de Bach Ma, ainsi que les réserves naturelles de Saola de Hue et Quang Nam et la zone nationale protégée de Xe Sap.

Son statut de conservation

Parmi les mammifères endémiques de cette région, Nesolagus timminsi est actuellement classé dans la catégorie “données insuffisantes” de la Liste rouge de l’UICN. Ce lapin présente les caractéristiques d’une espèce réfugiée dont la distribution est déterminée par les pressions humaines plutôt que par les préférences en matière d’habitat, tandis que d’autres espèces de mammifères endémiques, comme le saola, ont des distributions déterminées presque exclusivement par la pression de la chasse.

L’ours noir d’Asie et l’ours malais

  • L’ours noir d’Asie, ou ours lunaire

L’ours lunaire (Ursus thibetanus) est un ours de taille moyenne à poitrine blanche et largement adaptée à la vie arboricole.

Ursus thibetanus

Ses liens génétiques

Les ours noirs d’Asie sont de proches parents des ours noirs d’Amérique, avec lesquels ils partagent un ancêtre commun européen. Bien que les preuves génétiques ne soient pas concluantes, les deux espèces auraient divergé il y a trois millions d’années. Les espèces noires américaines et asiatiques sont considérées comme des taxons frères et sont plus proches l’une de l’autre que des autres espèces d’ours.

Son aire de répartition

Aussi connu sous le nom d’ours d’Himalaya, tibétain, ce mammiphère est originaire d’Asie. Il vit en Himalaya, en Asie du Sud-Est et dans certaines parties de l’Asie orientale, dont le Japon.

Les légendes sur sa physionomie

Selon la culture japonaise, il reçut cette marque blanche après l’acquisition d’une amulette enveloppée de soie de la part de yama no kami (l’esprit des montagnes), qui lui laissa son empreinte lorsqu’il l’ôta. Dans la mythologie hindoue, l’ours noir Jambavantha aurait vécu de Treta Yuga à Dvapara Yuga. Dans l’épopée Ramayana, Jambavantha aida Rama à retrouver sa femme Sita et à combattre son ravisseur, Ravana.

  • L’ours malais, ou ours solaire

Son cousin, le solitaire ours solaire (Helarctos malayanus), aussi appelé ours malais, ou “ours à miel”, représente le plus petit membre de la famille des ours.

Illustration de l’ours malais

Ses liens génétiques

Il semble avoir divergé des deux espèces d’ours noirs (asiatiques et américaines) il y a entre cinq et six millions d’années. De plus, son espèce est divisée en deux sous-espèces : l’ours solaire d’Asie continental et de Sumatra ; et l’ours solaire de Bornéo, qui dispose d’un crâne plus petit.

Son aire de répartition

On le retrouve du sud de la Chine jusqu’en Inde orientale et en Indonésie. Il est originaire des forêts denses des basses terres de l’Asie du Sud-Est et de certaines parties de la Chine.

Les légendes sur sa physionomie

Il tire son nom de la tache dorée ou blanche en forme de bavette sur sa poitrine, qui, selon la légende, représente le soleil levant.

Pourquoi ces animaux sauvages sont en danger ?

Selon un article de 2018 publié par Cambridge University Press dans Fauna & Flora International, les pressions anthropiques liées à la pose intensive de collets métalliques, à la déforestation accrue et à la réduction de l’habitat naturel, menacent grandement les créatures faisant l’objet ou non de programme de conservation prioritaire. En outre, l’intensification de la demande en produits issus de la faune sauvage et le laxisme dans l’application de la loi renforce le syndrome de la forêt vide, largement répandu à travers toute l’Indochine.

Le déclin des ours noirs d’Asie et malais

En raison de la déforestation dans leurs régions d’habitats, ces ours ont vu leur population considérablement diminuer, de plus de 30 % au cours des trois dernières générations d’ours. Leur déclin est aussi dû aux braconniers et marchands qui les chassent impitoyablement pour leurs membres, fourrures, biles, et vésicules biliaires, remèdes des plus appréciés de la médecine traditionnelle chinoise. Les femelles adultes sont fréquemment tuées afin de récupérer leurs petits, pour les élever comme animaux de compagnie. S’ajoutant finalement sur la longue liste des menaces, les agriculteurs qui les tirent à vue lorsque ces mammifères piétinent leurs cultures de palmiers à huile, de noix de coco ou de bananes.

Comment lutter face à cette menace d’extinction ?

Pour pallier cette menace, les experts s’accordent sur l’importance de lier la science à l’action sur le terrain à travers une gestion holistique et adaptative des programmes de conservation. Concrètement, cela se traduit par l’intensification des patrouilles anti-braconnage et anti-piège dans les secteurs clés, combinée à un redoublement des pièges photographiques et à une sensibilisation des populations locales sur l’importance de la préservation des écosystèmes.

Une lueur d’espoir, les sanctuaires de conservation

À la suite de cette diminution de population alarmante, des sanctuaires à ours ont émergé en Asie du Sud-Est où ces derniers trouvent soin et réhabilitation.

  • Le Vietnam Bear Sanctuary

Le Vietnam Bear Sanctuary est situé à Tam Dao, dans la province de Vinh Phuc. Il est créé en 2006 par Animals Asia et s’étend sur une superficie de 11 hectares. Sa mission vise à promouvoir compassion et respect pour tout animal et agir pour la fin du commerce barbare de la bile d’ours. Le sanctuaire dispose de près de trente mille mètres carrés d’enclos extérieurs semi-naturels conçus pour stimuler les comportements naturels des ours.

  • Les centres Free The Bears au Vietnam, au Laos et au Cambodge

En 1995, Mary Hutton, une amoureuse des animaux, fonde l’organisme de bienfaisance Free the Bears à partir de sa maison familiale de Perth, en Australie, par le biais de pétitions et de tombolas locales. Aujourd’hui, l’organisation comprend un sanctuaire cambodgien à Phnom Tamao, qui abrite le plus grand groupe au monde d’ours solaires sauvés, ainsi qu’un nombre significatif d’ours lunaires. En 2003, en collaboration avec le Département des forêts du Laos, le Tat Kuang Si Bear Rescue Center commence sa construction en pleine forêt, près des célèbres chutes d’eau.
Il est suivi par Cat Tien, au Vietnam en 2008. D’autres centres de sauvetage sont actuellement en cours d’élaboration.

Au total, le fond Free the Bears fournit des soins à vie à plus de deux cent vingt ours sauvés dans cinq sanctuaires, et à plus de trois cents ours rescapés en Inde.

Mary Hutton la fondatrice de Free The Bears

Visiter le site d’Animal Asia

             

Visiter le site de Free the Bears

Inspirer les nouvelles générations à l’environnement à travers des illustrations

Eric Losh est un illustrateur indépendant et directeur artistique vivant à New York. Sa mission vise à éduquer et inspirer le public sur la faune et les contrées sauvages. Il illustre de son talent ses expériences de la nature, de son jardin à l’Amérique centrale, en passant par l’Ouganda, le Vietnam et plus encore. Outre les jungles et les forêts, Eric aime passer son temps dans les salles de classe, où il partage ses livres et travaille directement avec les élèves pour leur inculquer l’amour de la nature et de l’art.

Son oeuvre “les merveilles de la cordillère Annamitique” (Wonders of the Annamites) est un honorable hommage à l’environnement, créée en partenariat avec Projet Anoulak, une organisation de conservation travaillant à la protection de la faune dans la zone nationale protégée de Nakai Nam Theun au Laos. Il emmène les lecteurs dans un voyage à travers l’une des régions les plus sauvages et les plus riches en biodiversité du monde, la cordillère Annamitique. C’est le premier livre (en anglais) pour enfants à se concentrer exclusivement sur la faune animale de cette région.

“Les merveilles de la cordillère Annamitique” par Eric Losh

Voir les illustrations d’Eric Losh
La faune et la flore de la péninsule Indochinoise
Consulter notre article sur la biodiversité de Sud-Est asiatique
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Tiger

Le roi de la forêt

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Publié par
Tiger
Pays : Vietnam