Catégories : Culture

Les merveilles cachées de la province de la paix de l’ouest

La province de Tây Ninh, la Paix de l’Ouest, l’ancienne région des Eléphants Sacrés, est une des plus pittoresques du Sud Vietnam, pourtant elle est la moins connue. Elle est célèbre pour la montagne de la Dame Noire (Nui Ba Den), pour être le fief du Caodaïsme, pour ses vieilles plantations d’hévéa, pour ses espaces naturels et pour les opérations qui y furent menées durant la guerre du Vietnam. 

Une terre frontière

Avant que les cartes coloniales ne tracent des lignes droites sur la jungle et les plateaux, Tây Ninh était une terre frontière, marquée par une nature sauvage et les passages culturels, un pays de forêts, de marécages lumineux et de clairières aux temples énigmatiques. Les parties les plus basses étaient inondées une partie de l’année et se transformaient en larges marais, les parties hautes étaient couvertes de forêts-denses. Leurs vestiges se retrouvent dans le parc national du Lo Go – Xat Mat. Ce dernier longe la partie septentrionale de la zone nommée le Bec de Canard (ou de perroquet), un enfoncement du territoire cambodgien et de la province de Svay Rieng (les manguiers alignés).  

Deux cours majeurs traversent la province : la rivière Vam Co Dong et la rivière Saigon. La Vam Co Dong (le Vaico occidental, littéralement la rivière de l’herbe occidentale) est un cours affluant depuis le Cambodge où elle se nomme la Prek Kompong Krabas ; sur l’est, elle longe la frontière khmère, au niveau du Bec de Canard, et la province de Svay Rieng. La rivière Saigon prend sa source au Cambodge via un ensemble de petits cours dont les Prek Ankom, Prek Paplam et Prek Kray, au Vietnam elle devient la Prek Clock, la Suoi Ba Hao, et finalement la rivière Saigon.

Tây Ninh nord, les rivières Vam Co Dong et Saigon, au centre-sud, Tây Ninh ville et la montagne de la Dame Noire, à l’est, le Bec de Canard. 

La région des Eléphants Sacrés

En ces terres mouvantes, les hommes marchaient avec lenteur, en accord avec les saisons, les étoiles et les esprits des lieux. Y résidaient des Khmers Krom, descendants des anciens royaumes khmers, installés dans les plaines, les zones humides, et autour des temples. Selon certaines traditions orales, ces terres étaient le Preah Trapeang Domrey, la région des Eléphants Sacrés ; le peuple stieng vivait dans les collines forestières, en petites communautés semi-nomades et pratiquaient la culture sur brûlis, la chasse, la vannerie et entretenaient un rapport sacré à la montagne de la Dame Noire. Quelques Cham musulmans, exilés du Panduranga peuplaient les environs de l’actuelle Tây Ninh ville. La terre était rouge, dense, vivante. Les forêts abritaient des tigres, des gaurs, des éléphants, des rhinocéros et une mémoire qu’aucune archive ne peut vraiment contenir. 

Laksmi du temple de Binh Thanh.

Les vestiges khmers

Les vestiges khmers sont répartis assez régulièrement dans la province, ils sont cependant plus nombreux au sud, dans la partie la plus riche, qui fut sans doute toujours la plus peuplée. Par contre le nord seul possède des édifices ou parties d’édifices encore debout, abandonnés pour certains et ayant échappé aux destructions de la guerre du Vietnam. La liste de ces vestiges se rattachent à l’art khmer, alors qu’aucun élément ne les rapproche de l’art cham. Tous ces édifices, les plus ruinés comme les mieux conservés, sont la trace de l’occupation ancienne du pays par les Khmers, occupation qui paraît d’autant plus vraisemblable qu’aucune frontière réelle ne séparait le Cambodge du glacis cochinchinois, tandis qu’une longue région de sables presque inhabitable isolait celle-ci de l’ancien royaume cham du Panduranga. Présentement, les temples les plus notables de la province sont Cho Mat (Ba Bau) et Binh Thanh (Tien Thuan).

Le temple de Cho Mat.

L’arrivée des Français

A partir de 1862, après le Traité de Saigon, la France établit un protectorat sur la Cochinchine, dont Tây Ninh. Des avant-postes militaires sont construits autour de la montagne de la Dame Noire, notamment pour surveiller la frontière avec le Cambodge. Des missionnaires des Missions Étrangères s’y aventurent, cherchant à évangéliser les minorités ethniques, avec peu de succès. Vers 1905-1910, les Français, inspirés par les succès de l’hévéaculture en Malaisie, identifient les sols rouges basaltiques de Tây Ninh idéals pour l’hévéa (Hevea brasiliensis).

C’est le début de la transformation radicale de la région. Des concessions foncières sont accordées à des compagnies privées, notamment la Société Financière des Caoutchoucs d’Indochine, la Société des Plantations de Tây Ninh et des Entreprises franco-vietnamiennes. Les forêts ancestrales sont débroussaillées à la machette et au feu. Des routes coloniales sont percées, pour faire sortir le latex vers Saigon. Le paysage se couvre d’alignements géométriques d’hévéas. Les Stieng sont les premières victimes de cette transformation et sont chassés de leurs terres ancestrales, forcés à travailler comme journaliers ou déplacés vers les marges des plantations. Les Khmers Krom perdent une grande partie de leurs rizières aux colons, leurs temples anciens sont abandonnés, absorbés, ou ignorés. Les conditions de travail dans les plantations sont souvent brutales : chaleur accablante, logements précaires, travail 12 heures par jour, surveillance militaire. Dès les années 1920-1930, des mouvements de résistance commencent à se former, notamment autour de religions syncrétiques comme le Caodaïsme, qui voit dans la montagne sacrée du Nui Ba Den, un lieu de refuge contre le matérialisme colonial. Des révoltes paysannes éclatent localement et l’ombre des plantations, la misère, et les humiliations nourrissent les germes du nationalisme vietnamien. Durant la guerre du Vietnam, de nombreuses plantations se retrouvent au milieu de combats. 

Plantation d’hévéas

Le Saint-Siège du Caodaïste

Tây Ninh est le Saint-Siège de la religion caodaïste, un courant religieux et politique apparu entre 1920 et 1930 au Sud Vietnam. La doctrine gravite autour de la réconciliation entre Occident et Orient, en rassemblant dans un panthéon le christianisme, le bouddhisme, le taoïsme et le confucianisme, autour de Cao Dai, le créateur suprême dont le symbole est l’œil qui agrémente les temples. Entre 1930 et 1940, les Caodaïstes s’orientent sur la voie du nationalisme teinté de monarchisme, en 1941 ils forment une alliance avec l’armée impériale japonaise et mènent une propagande anti-française. En 1949, les forces armées Cao Dai (F.A.C.D) prennent de l’ampleur dans la région et s’allient avec les Français afin de se prémunir de la croissante présence du Vietminh. En 1954, l’armée caodaïste compte deux cent quinze postes et son effectif est estimé à soixante-cinq mille hommes. Puis, entre 1956 et 1958, trois mille quatre cent Caodaïstes sont emprisonnés, l’armée est dissoute, certains demeurent dans des maquis. En 1997, le Caodaïsme est de nouveau reconnu légalement et pratiqué sans restriction.

Le grand temple caodaïste. Par Tranh Ve.

Durant la guerre du Vietnam

Durant la guerre du Vietnam, la province devient le théâtre de plusieurs batailles et opérations, la plus importante étant Junction City, menée par les forces des États-Unis et de la République du Vietnam, initiée le 14 février 1967. Elle est la plus grande opération aéroportée des États-Unis depuis Varsity en mars 1945 (une opération sur le Rhin), la plus grande opération aéroportée de la guerre du Vietnam, et l’une des plus grandes opérations américaines de la guerre. L’objectif de près de trois mois impliquant l’équivalent de près de trois divisions était de localiser et de détruire le COSVN, l’insaisissable quartier général des forces du Nord, et aussi de couper les sorties cambodgiennes de la Piste Hô Chi Minh. Selon des analystes américains de l’époque, un tel quartier général était considéré comme un mini-pentagone. 

L’opération Junction City.

De nos jours

Subséquemment, Tây Ninh retombe dans son oubli protecteur, mis à part les aménagements sur la Dame Noire et le Saint-Siège caodaïste, elle est pratiquement inconnue du voyageur. En 2025, Amica Travel y mène diverses recherches, en résulte des modules de découverte, entre vieux temples khmers, forêts tropicales, vestiges de l’époque coloniale et de la guerre du Vietnam, temples bouddhistes, les énigmatiques brumes de la montagne de la Dame Noire et un trekking niveau II permettant d’accéder à son sommet sacré. Après la découverte de Tây Ninh, il est possible de rentrer au Cambodge via le poste de frontalier de Xat Mat (Trapang Phlong), puis de continuer vers Phnom Penh, Kratié ou Mondulkiri. 

La statue de la Dame Noire et son esplanade sommitale.

Photo bannière : Campagne de Tây Ninh, au second plan, la montagne de la Dame Noire. Par Tranh Ve.

Rate this post
Tiger

Partager
Publié par
Tiger
Pays : Vietnam