La maison commune (Nhà rông en vietnamien) est depuis longtemps une part de l’âme des habitants dans les Hauts-Plateaux Vietnam. Elle est spécifique aux populations môn khmer, groupe d’origine des Banhars et malayo-polynésienne de l’Asie du Sud-est. Elle représentait, au temps où les montagnards étaient encore semi-nomades et déplaçaient leur village, le premier édifice construit, fondateur du village. Dans certains villages, on pouvait en trouver deux : la maison père/masculine et la maison mère/féminine.
A l’origine, la maison commune avait une fonction défensive puisqu’elle constituait un abri pour toute la population lors des attaques d’ethnies voisines ou de fauves.
Elle avait surtout et a encore, de nos jours, une fonction sociale majeure. Elle est le lieu de résidence des jeunes hommes non mariés (et des visiteurs de passage) mais aussi le lieu où l ‘on passe les soirées à discuter, à chanter, à jouer de la musique, à écouter les légendes autour du feu.
Par ailleurs, elle est un atelier de fabrication des ustensiles de travail ou de jeux (arbalètes, flèches, filets, hottes et autres vanneries,…) et une remise où sont entreposés des instruments de travail.
La maison communale est également l’endroit où les patriarches du village transmettent leurs savoirs, leur métier et l’initiation au combat aux adolescents, aux jeunes et aux autres traditions de la communauté.
Les chansons populaires, la musique des nombreux instruments à cordes, air et percussion, les danses, les longs poèmes et les contes rassemblent à l’occasion de fêtes le village ou des occasions spéciales comme, par exemple, de bonnes récoltes, autour et dans la maison.
La construction d’une maison commune demande beaucoup de temps. La préparation des matériaux peut durer deux ou trois ans, puis la construction elle-même de six à sept mois. Outil essentiel, la hache est utilisée non seulement pour couper le bois, mais aussi pour le tailler et y aménager les orifices permettant l’assemblage des divers éléments. Pour pouvoir percer un grand tronc d’arbre de 60 cm de diamètre, les menuisiers transforment la hache en ciseau à bois, en ajustant la lame à un long manche.
La maison commune du village est du type ordinaire à haute toiture aiguë; elle est remontée sur pilotis importants qui sont les colonnes mêmes de la bâtisse et est précédée d’une grande terrasse sur un des côtés longs.
La salle est sur un plan ovoïde à bouts coupés ; elle est couverte par les pans légèrement incurvés de la toiture ; elle est close sur les quatre faces par un clayonnage soigné d’un plan de fins bambous verticaux ronds entiers. Le clayonnage est tressé serré jusqu’à une hauteur de 1,50 mètre, tandis qu’au-dessus, sur 0,60 mètre, lâche, il laisse passer air et lumière; son bord supérieur est parallèle à la rive du toit qui, sur les faces longues, forme une courbe dont la convexité s’écarte du sol ; elle est par suite, haute au milieu, basse aux extrémités ; elle se continue horizontalement sur les petits côtés.
Les faces longues sont bombées, les courtes sont droites; elles sont percées seulement de deux portes à glissière ; la porte principale a 2 mètres de haut et 1,10 mètre environ de large ; la porte secondaire sur la face sud-ouest n’a guère que 0,70 mètre de large et 1,30 mètre de haut; une planche épaisse sans décor forme seuil intérieur. Le sol est constitué par un planchéiage de bambous écrasés sur lattis de bambou et solives transversales en rondins. Les colonnes sont des bois splendides dont le diamètre moyen à cette hauteur est de 0,5 mètre, tandis qu’il est de 0,60 près du sol; elles sont unies au sommet par des poutres transversales qui passant au travers et aux extrémités portent la panne principale.
Les quatre poutres du plancher portent sur la surface des bambous écrasés et dans l’axe longitudinal une longrine à laquelle en correspond une autre posée sur les entraits ; des trous circulaires dans l’une et l’autre reçoivent des bambous verticaux au nombre de douze auxquels sont attachées deux par deux les jarres de vin de riz des fêtes; deux étaient encore en place lors de mon étude. La panne porte, liés par du rotin, tous les arbalétriers de bambou, à raison de cinq entraxes pour toute la longueur du faîte, avec l’un dans l’axe transversal.
Toute la charpente au-dessus des grands est faite de bambous, avec d’autres plus fins pour attacher les bandes de chaume mince. Il n’y a rien d’autre jusqu’au premier cours de pannes-bambous. Celles-ci sont unies par des bambous-entraits et au-dessus il y a un emmêlement de bambous en croix, confus et sans ordre. Il n’y a pas ici les tendeurs en diagonale en d’autres maisons communes, comme exemple franc de triangulation, exceptionnelle en Indochine et peut-être même en Extrême-Orient.
La salle est meublée seulement de deux foyers rectangulaires de terre sur le planchéiage. A la porte, près de l’entrée, sont suspendus deux gros tambours ; un autre gît en face. Une étagère occupe toute la travée centrale, face à l’entrée. Le dessus en est à 1,50 mètre au-dessus du planchéiage; elle est ornée de peintures géométriques. Les seuls décors de la salle consistent architecturalement en un dessin géométrique sur les faces des poutres près des colonnes et en un bucrane naturel. Cette salle est, paraît-il, très fraîche grâce à la masse d’air enfermé dans la couverture aiguë et son aération au-dessous du toit.
Devant chaque porte est une terrasse proportionnée à celle-ci; la principale, soutenue par deux poteaux circulaires au décor simple et munie de deux échaliers au sobre décor, est planchéiée de sections de rondins, la face courbe en l’air, l’une plus large au début derrière les deux colonnes de support. Chaque échalier est terminé par une volute et chaque encoche – marche est garnie de fins traits gravés dans le bois rond; les terminaisons des échaliers sous les crosses finales ont le même décor sobre de traits gravés.
Extérieurement, la maison commune n’offre, hors des colonnes et des planchers, que des courbes et suggère un peu l’impression des voiles d’un bateau tendues en creux. La partie de paroi verticale entre la ligne horizontale du plancher et la rive courbe du toit compte à peine. Le faîte est courbe, convexe, en harmonie avec la rive courbe du toit et se couronne de trois épis verticaux au centre et aux extrémités.
La natte extérieure de la paroi est divisée par deux bandes de fins bambous en rapport de lignes avec le plancher et le haut de la paroi ou de la rive du toit qui sont parallèles. Ces bandes laissent des espaces égaux, sauf dans la travée centrale, occupée par la porte principale. Sur la bande centrale, les bambous, écorcés et rayés, dessinent deux carrés de couleurs différentes qui sont un simple décor et non des ajoures. La porte secondaire n’a pas ce décor. Une série de poteaux verticaux vient maintenir à l’extérieur des deux longrines horizontales haute et basse en courbe régulière où se fixe la cloison, à raison de sept par grande face et de quatre par petite, deux en avant et deux dans l’alignement courbe de ceux des faces longues.
La terrasse principale est portée par deux longrines latérales, soutenues entre les colonnes par des bois fourchus près de la salle et des poteaux simples dans l’intervalle.
Toutes les courbes de cette construction comme le plan en tonneau de la paroi de la salle, et celles de la toiture, notamment toutes les sections verticales, y compris celles qui forment pignon renversé en arrière et la courbe du faîte, sont des arcs de cercle dont le rayon est unique et paraît être triple du fond du tonneau fictif. Une seule échappe à cette règle, la rive inférieure du toit. Il ne serait pas impossible que toutes les courbes réelles dans l’espace soient identiques et aient été fournies par un gabarit unique, rendant ainsi l’exécution très aisée; notons que ces dessins ont été obtenus par restitutions perspectives de photographies prises à cette intention, aussi près que possible des axes pour avoir des images presque frontales ; les arcs y représentent en un seul plan, celui du papier, des lignes qui, dans l’espace, occuperaient deux plans ou mieux un plan unique mais oblique par rapport aux surfaces des géométraux. Il est possible que ces arcs de projection à rayon unique traduisent des arcs obliques avec un autre rayon unique également sans doute assez voisin. On ne pourrait s’en rendre compte d’une façon sûre que si l’on avait la bonne fortune de pouvoir suivre de près l’édification d’une de ces charmantes bâtisses. Est-il utile de noter l’impression que donnent ces édifices de constructions navales avec les surfaces courbes des pans de toitures qui rappellent des voiles, sous l’effet de la brise, et les formes ventrues de la paroi analogues à celles d’une carène de bateau ? Impression étrange dans la montagne et qui pourrait s’accorder avec la lointaine origine polynésienne qu’on attribue parfois aux populations «Mọi».
Avec toutes ces valeurs culturelles et historiques, la maison Rông représente non seulement l’image des habitants des Hauts-Plateaux du Centre Vietnam mais aussi un grand patrimoine culturel national à préserver.
Source : Bulletin de l’Ecole française d’Extrême-Orient. Tome 45 N°1, 1951. pp. 223-225 – Henri PARMENTIER