« L’autorité du roi s’arrête devant les haies de bambous du village. » Ce célèbre proverbe vietnamien reflète le lien étroit entre le bambou et le villageois. On retrouve d’ailleurs dans beaucoup de poèmes et de proverbes vietnamiens cette évocation. J.C Pomonti, le spécialiste des questions d’Asie, a nommé souvent et d’une manière humoristique la civilisation vietnamienne dans ses rubriques du journal « Le Monde » sous le label « civilisation du bambou » ou « civilisation de baguette ». En effet, cette plante est omniprésente dans la vie quotidienne des vietnamiens et tient une place particulière dans leur cœur car elle est utilisée pour de multiples usages. Grâce à cette plante, tout est possible dans ce pays où rien n’est facile et où on ne se laisse pas rebuter ou arrêter par des obstacles. C’est la plante qui berce la vie des vietnamiens du berceau à la tombe. Une fois décédé, le corps du défunt repose sur une claie faite avec ce bambou.
Dans le village, le bambou suffit à tout. Il fournit la maison tout entière, le bois de charpente comme les murailles, les cloisons et les planchers sont en lattes de bambou nattés. Dans la maison, tout est fait avec ce bois creux (meubles, lits, tables, accessoires divers etc …) même un verre pour boire. Déchiré en lanières, il sert de cordages et de ficelles. On se sert des filaments de bambou, des kélates pour faire des paniers de tout genre pour les transports. On en fait aussi des chapeaux coniques pour s’abriter de la pluie et du soleil. Grâce à ce bois, on sait créer des outillages usuels comme le seau pour aller puiser de l’eau ou la pipe pour les fumeurs.
Dans son ouvrage « Bois et bateaux du Vietnam », F. Aubaile-Sallenave met en lumière les particularités des constructions des bateaux en bambou, dont la principale originalité est leur grande souplesse. En effet, au bateau européen qui « résiste à la mer et aux divers chocs par la rigidité de sa coque, s’oppose l’asiatique qui réagit par la souplesse et l’élasticité de son armature ». Parmi ces bateaux « souples » figurent les « thuyen thung » en lattes de bambou tressées dont les coques recouvertes d’un épais enduit d’oléo-résines de Diptérocarpacées sont « comparables à la peau d’un poisson sur laquelle les ondulations des vagues passent sans provoquer de remous ». Ces bateaux, largement utilisés, se rencontrent tout au long des côtes du pays de la baie d’Halong au Nord jusque dans l’Ile de Phu Quoc au Sud.
Lorsque vous visiterez le Vietnam, prêtez attention aux bâtiments en construction. Vous verrez que les échafaudages sont souvent faits en bambou. En effet, jusqu’à nos jours, il est peu de bâtiments vietnamiens qui n’aient été construits sans le concours de cette fameuse graminée. La structure tubulaire des tiges permet, en effet, d’obtenir une résistance exceptionnelle pour un poids somme toute limité.
Comme aliment, les pousses de bambou (mang) entrent dans la confection de nombreux plats. Pour manger, les Vietnamiens se munissent de baguettes. Celles-ci ne peuvent être fabriquées que dans une région où l’abondance des bambous n’est plus mise en doute. Comme médicament, les feuilles sont bouillies en fumigation avec d’autres ingrédients. L’eau des jeunes pousses apaise la soif due à une fièvre violente. Le bambou est également tout particulièrement recommandé dans le traitement des maladies articulaires et osseuses. A l’approche du Têt traditionnel, on se sert des branches de bambou comme bois de chauffage pour cuire les gâteaux de riz gluant ou pour se protéger contre le froid surtout en hiver dans le Nord et le Centre.
Enfin, dans la littérature classique, le bambou est souvent associé à l’abricotier pour évoquer l’amour conjugal, l’union familiale. Le bambou symbolise aussi l’homme supérieur (quân tu) à cause de ses entre-nœuds tout droits ; le vide de ces derniers représente cette vacuité de l’âme que recherche l’ascèse bouddhiste et taoïste. Point n’est étonnant que le bambou soit un motif favori de la peinture asiatique.
Un ancien proverbe dit : « Tre gia mang moc » (Quand la bambou vieillit, la jeune pousse croît). Il exprime la confiance en la relève, non le fossé mais le pont entre les générations.