La défense de la cuisine traditionnelle est un crédo dont s’emparent de nombreux chefs au Cambodge. Une mission non seulement de sauvegarde du patrimoine national chambardé par les conflits récents, mais aussi en parade à l’influence délétère de la mondialisation.

C’est l’engagement de Mariya Un Noun et chef Nak, deux ferventes défenseures de la scène culinaire cambodgienne, et figures de proue de la Nouvelle Cuisine Khmère, un concept pouvant faire écho à la Nouvelle Architecture Khmère des années soixante du célèbre architecte Van Molyvann.

Mariya Un Noun, une personne tendre au passé difficile

Enfant des bidonvilles de Phnom Penh, Mariya est vendue à l’âge de douze ans et contrainte de travailler pour rembourser un voyou dont elle réussit à s’échapper. Sa vie prend un tournant décisif lorsqu’un chauffeur de tuk tuk l’introduit à Hannes Schmid, un philanthrope qui fonde en 2014 Smiling Gecko, une ONG dédiée à l’éducation et à la formation professionnelle de communautés défavorisées du district de Samaki Meanchey dans la province de Kampong Chhnang, à soixante-cinq kms au nord de Phnom Penh.

C’est au sein de cette structure que Mariya commence à révéler ses talents et à se passionner pour les fourneaux. Un premier dîner de démonstration qui ravit son mentor l’envoie se former en Suisse dans des établissements cinq étoiles comme : le Widder Hotel à Zurich, le Gstaad Palace, et le Chedi à Andermatt où elle collabore avec rien que le premier Suisse à monter sur le podium du Bocuse d’Or, Franck Giovannini, l’ambassadeur suisse du ChefAlps affichant trois étoiles Michelin et dix-neuf points Gault Millau au compteur, Andreas Caminada, ou encore l’italien Massimo Bottura, l’un des plus talentueux chefs trois étoiles Michelin de sa génération.

Mariya Un Noun dans sa cuisine du Restaurant Un

Mariya Un Noun dans sa cuisine du Restaurant Un

Mariya se forge alors une identité culinaire claire entre ses influences européennes assumées, et sa personnalité bien trempée. Dès lors, sa cuisine s’ancre profondément dans les traditions culinaires khmères via l’utilisation d’ingrédients locaux insufflés de subtils bouquets grâce à des techniques modernes innovantes.

Aujourd’hui, à son tour, ce génie de la marmite dispense ses enseignements dans le restaurant du Farmhouse Resort & Spa, le maillon « tourisme » du projet Smiling Gecko qui se cristallise par un complexe de trente-quatre chambres de charme réparties dans dix-sept maisons sur pilotis au style traditionnel. En réalité un centre de formation à l’hôtellerie et à la restauration où Mariya chapeaute du haut de sa toque une brigade principalement issue de milieux défavorisés, dont certains membres ne savent à leur début ni lire ni écrire. Un défi des plus honorables lorsque l’on s’attarde sur la réussite de son concept gastronomique « restaurant Un » lancé il y a quelques mois, qui ravit les papilles des visiteurs en quête de « voyage vers les royaumes de la cuisine khmère », l’intitulé de son menu 6-plats qui assure une symphonie de goûts en transitant d’un plat à l’autre vers les racines de la « nouvelle cuisine khmère ».

Le complexe du Farmhouse Resort & Spa

Le complexe du Farmhouse Resort & Spa

Bien décidée à représenter un symbole d’espoir pour les communautés désavantagées du pays au travers de son parcours exemplaire, Mariya cherche à promouvoir ses racines tous azimuts et à devenir l’un des meilleurs restaurants d’Asie d’ici cinq ans.

Chef Nak : une archéologue de la gastronomie

Chef Nak, aussi connue sous le nom de Rotanak Ros est née à Phnom Penh dans les années 1990, au sein d’une capitale en plein essor après des années de domination coloniale, de génocide et de guerre civile. Vendeuse de légumes sur les marchés aux côtés de sa mère, elle développe naturellement un amour pour la cuisine grâce aux plats, souvent simples mais savoureux, que sa génitrice lui concocte. Des émotions qui s’inscrivent à jamais dans son ADN. À 19 ans, elle est engagée par l’organisation à but non lucratif Cambodian Living Arts, qui enseigne à la première génération post-régime Khmer Rouge les arts du spectacle traditionnel. Sensible à la notion de transmission, elle se rend compte que l’art de la table mérite la même attention.

Chef Nak

Chef Nak en habit traditionnel

La jeune Ros s’interroge alors sur les fondements de l’identité nationale cambodgienne. Que signifie être Cambodgien après une période de perte aussi incommensurable ? Cette question trouve des réponses dans la cuisine. Galvanisée d’une mission de reconquête identitaire, Ros se met en quête de reconstituer les saveurs d’une époque antérieure au génocide. Elle pérégrine à travers les campagnes pour interroger les chefs de gargote sur les secrets de leurs recettes les plus appréciées. Ses trouvailles anthropologiques sont finalement compilées dans son livre “Nhum : recettes de la cuisine cambodgienne” paru en 2019, une œuvre servant à la fois de recueil historique et de livre de recette. Un écrit qui précède son petit frère “Saoy : les saveurs oubliées de la cuisine royale cambodgienne” publié en 2023, une odyssée historique qui tisse la riche tapisserie de la culture et de la tradition culinaire royale.

Cuisine khmère traditionnelle

Un exemple de cuisine royale traditionnelle

Les méfaits de la mondialisation sur le goût du terroir sont bien réels. Inéluctablement, les jeunes générations sont alpaguées par la modernité et ses nouvelles saveurs : plats épicés thaïlandais, fast-foods américains, vague mexicaine…En outre, par soucis de temps, certains cuisiniers prennent le droit d’outrager des recettes anciennes avec des variations contemporaines comme l’ajout d’une mayonnaise à une salade de poisson à la citronnelle, un juron au plat originel.

C’est en partie en réponse à cette menace grandissante que la chef Nak collabore avec des organisations telles que l’UNICEF et le World Food Programme pour améliorer la nutrition au Cambodge. En sus, elle crée son expérience gastronomique personnalisée, Private Luxury Home Dining, qui tient lieu dans sa demeure au style antique en bois garnie d’un jardin potager, au bord du pittoresque Mékong, à deux pas de Phnom Penh. Là, les convives y dégustent une exquise cuisine de pays composée d’ingrédients frais – pouvant inclure, entre autres, feuilles de pandan, cardamome, gingembre noir, prahok (pâte de poisson fermentée aigre-salée), vinaigre de banane, poivrons cubanelle mûrs séchés, graines de soja fermentées, thé à la citronnelle, citrons verts marinés ou encore vin de riz infusé aux fruits de saison – magnifiés par des techniques traditionnelles. Tel un banquet royal, le repas s’agrémentent de sérénades vernaculaires interprétées par une troupe locale. Une expérience humaine qui se vit lors d’une journée ou d’un séjour avec nuitée sur place.

La résidence du chef Nak

La résidence du chef Nak

Catalyseur d’échanges humains, la gastronomie traditionnelle constitue un maillon de l’identité nationale du Cambodge et joue un rôle sans équivoque sur le rayonnement culturel du pays à l’international. Cet art vivant en pleine renaissance étincelle comme un phare de l’innovation dans les yeux d’une génération grandissante de cordons-bleus cambodgiens qui font de leur patrimoine une fierté.

En savoir plus sur la cuisine cambodgienne.

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