Après mille deux cents ans passés dans l’oubli, la cité perdue de Mahendraparvata est récemment mise au grand jour par des archéologues français et australiens dans l’épaisse jungle cambodgienne du mont Phnom Kulen. Mentionnée sur d’anciennes inscriptions en pierre, cette ville mystérieuse se situe à une quarantaine de kilomètres au nord-est du temple d’Angkor Wat, dans la province de Siem Reap.
La redécouverte moderne
Dissimulée en grande partie par la végétation, l’ancienne cité est tout de même connue depuis des décennies. C’est finalement en 2012 qu’elle est véritablement révélée lors de l’expédition archéologique dirigée par Jean-Baptiste Chevance, de l’Archaeology and Development Foundation de Londres, et Damian Evans, de l’Université de Sydney, entreprise menée dans la continuité des premières trouvailles de l’archéologue et historien de l’art français, Philippe Stern, en 1936.
D’une zone urbaine complexe
Cette campagne de recherche moderne explore les sols et sous-sols de la jungle impénétrable grâce à une technologie de balayage laser aéroporté Lidar. Cette dernière met en évidence une zone urbaine d’environ quarante à cinquante km² constituée d’un réseau de grandes artères, vraisemblablement la première “ville-grille” à grande échelle élaborée par l’Empire khmer. Cette grille se subdivise en îlots urbains via un système de parcellisation des terres à plus petite échelle, et comprend aussi un ensemble de petits sanctuaires, de monticules et d’étangs ; un système de gestion de l’eau à grande échelle, composé de barrages et d’un grand réservoir inachevé ; et une disposition spatiale distinctive d’un palais royal, d’un temple-pyramide et d’autres éléments d’infrastructure en cohérence avec – et uniques à – toutes les autres capitales connues du royaume khmer, à l’instar de la centaine d’énigmatiques monticules de trois mètres de haut disposés en motifs géométriques.
Sur un mont sacré
Dérivé de termes Sanskrit signifiant “Montagne du Grand Indra”, le nom Mahendraparvata fait référence au site sacré situé au sommet de la colline communément appelée aujourd’hui Phnom Kulen, un plateau jadis difficile d’accès, qui représente l’un des derniers bastions khmers rouges, régime autoritaire qui occupe et mine la région du début des années 1970 à la fin des années 1990.
Une capitale khmère aux origines lointaines
D’après les découvertes archéologiques, Mahendraparvata date de la fin du VIIIe siècle ou du début du IXe siècle, soit bien des siècles avant que la communauté scientifique n’imagine que de telles villes organisées puissent apparaître dans la région d’Angkor. Cette cité constitue l’une des trois capitales (les autres étant Amarendrapura et Hariharalaya) de Jayavarman II, le premier roi de l’Empire khmer qui règne de 802 à 830 au moins, marquant le début de la période d’Angkor.
Une métropole à l’organisation singulière
Édifiée environ trois cent cinquante ans avant Angkor Wat, cette métropole naguère puissante s’identifie immédiatement à un site angkorien, et forme un exemple unique de développement urbain dans le monde khmer. En outre, d’après Chevance, Phnom Kulen sert de site de culte et de pèlerinage tout au long de la période angkorienne, tandis que des documents paléobotaniques suggèrent que ce territoire est utilisé extensivement et intensivement par l’Homme du VIIIe au XIIe siècle.
Comme dans l’ancienne capitale khmère Koh Ker, les preuves révèlent un réseau unique et complexe de digues en terre qui ne semble pas conçu pour la riziculture irriguée. L’échelle et le plan de ce projet ambitieux mais inachevé semblent constituer une sérieuse et remarquable tentative précoce de planification urbaine à grande échelle.
Élargir le prisme de lecture
Part intégrante du tissu urbain médiéval d’Angkor, Mahendraparvata offre un regard unique sur la trajectoire historique d’Angkor et de l’Empire khmer, autrefois l’une des civilisations les plus avancées d’Asie du Sud-Est. Cette capitale représente un prototype dans la gestion de l’eau, à l’image de ses vastes lacs artificiels et de ses centres urbains à forte densité, qui deviennent plus tard une caractéristique inhérente au royaume khmer et aux plaines inondées d’Angkor.