Avant, comme une mise en bouche, pendant, comme une immersion, après, comme une réflexion. Lire des livres sur l’Indochine permet aux voyageurs qui s’y rendent, d’apporter un éclairage sur les complexités historiques et culturelles de cette péninsule, liée à l’histoire contemporaine de la France, pour le meilleur comme pour le pire.
On ne saurait établir une liste exhaustive, il y en a tellement. Alors, laissez-nous vous livrer nos six ouvrages coup de cœur.
- I. Lucien Bodard et sa trilogie sur la guerre d’Indochine
- II. La vie d’Alexandre Yersin dans « Peste et choléra » de Patrick Deville
- III. Le cycle romanesque de Jean Hougron « La nuit indochinoise »
- IV. « Un barrage contre le Pacifique » de Marguerite Duras
- V. « Nous avons mangé la forêt de la pierre-génie Gôo » de Georges Condominas
- VI. Le mythique « Voyage d’exploration en Indochine » de Francis Garnier
Lucien Bodard et sa trilogie sur la guerre d’Indochine
Fils de consul en Chine, Lucien Bodard a grandi avec les événements qui ont secoué le continent asiatique dans les années 1920-1940. Fort d’une connaissance profonde de la réalité asiatique, il est envoyé par France Soir en Indochine pour couvrir le conflit en tant que grand reporter. De ses années sur le terrain auprès de l’état-major du Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient, des civils français et vietnamiens, de chefs de guerre tribaux comme Deo Van Long ou du dernier empereur vietnamien Bao Dai, Lucien Bodard tirera une œuvre magistrale en trois volumes qui nous donne à contempler la fresque de l’histoire de la guerre d’Indochine avec un regard des plus incisifs et des plus précis.
« Chez Bodard, rien n’est exact, mais tout est vrai », qu’importe, on se régale de sa puissante description de la société indochinoise au-delà de ses célèbres portraits et du désastre annoncé de Dien Bien Phu. Les 1000 pages de cette trilogie s’avalent avec délectation et déjà on lorgne sur « La Duchesse », un truculent roman d’aventure aux innombrables et surprenants personnages, fresque historique et réquisitoire contre le colonialisme. A lire sur la terrasse de l’hôtel Continental à Saigon ou au bar de l’hôtel Métropole à Hanoi.
La vie d’Alexandre Yersin dans « Peste et choléra » de Patrick Deville
Patrick Deville nous livre une biographie romancée de Alexandre Yersin, disciple de Pasteur, découvreur en 1894 du bacille de la peste. A travers ce livre sur l’Indochine, on découvre l’un des aventuriers les plus méconnus et les plus exemplaires de la science moderne qui fut tour à tour explorateur, chercheur, inventeur, planteur, bricoleur. Alexandre Yersin fut également un grand amoureux du Vietnam et de son peuple. Arrivé au Vietnam à Saigon en 1890, il décèdera à Nha Trang le 28 février 1943. Nommé à titre posthume Citoyen d’honneur du Vietnam, “Ong nam”, surnom affectueux donné par les Vietnamiens en rapport avec ses 5 galons d’officier, n’a cessé d’œuvrer pour l’Indochine mais également pour le peuple vietnamien.
Il créa le site de villégiature de Dalat, développera la quinine, créa et dirigea l’école de médecine de Hanoi, les instituts Pasteur de Hanoi et Saigon, monta une station météorologique pour aider les pêcheurs de Nha Trang etc… Un roman passionnant couronné en 2012 par le prix Femina qui vous donnera peut-être l’envie de découvrir Dalat et sa région, et Nha Trang où il reste des traces du passage du docteur Yersin.
Le cycle romanesque de Jean Hougron « La nuit indochinoise »
Voilà encore un sacré personnage ! Jean Hougron mena pendant cinq années une vie d’aventurier en Indochine où il fut tour à tour chauffeur de camion, marchand de bière, planteur de tabac, enseignant, animateur radio, traducteur etc… Ses aventures viendront nourrir son cycle romanesque « La Nuit indochinoise » dont il publie le premier volume « Tu récolteras la tempête » en 1950.
Cinq autres tomes l’Indochine dont on peut lire chaque ouvrage séparément viendront compléter son œuvre. Ses six romans ont pour cadre le Laos et le Vietnam sur fond de guerre d’Indochine et de décolonisation qui, d’un style simple et alerte, nous racontent les joies et les misères de ces Français du bout du monde, les « petits blancs », qui n’existeront plus, emportés par l’effondrement de l’Indochine française.
« Un barrage contre le Pacifique » de Marguerite Duras
Pourquoi ? Car si vous vous rendez au Vietnam, dans le delta du Mékong, à Sadec plus précisément, vous aurez l’occasion de marcher sur ses pas et de voir la ville qui a vu grandir la romancière. Et que si vous vous rendez au Cambodge, sur le littoral entre Kampot et Sihanoukville, vous découvrirez cette région qui tient de décor au roman, les polders de Prey Nup.
Une veuve et ses deux enfants y tentent de survivre en érigeant en vain des barrages contre l’océan qui noie inlassablement ses récoltes. Un roman âpre, d’inspiration autobiographique, vu comme le roman de la fatigue et de la souffrance dans lequel Marguerite Duras dénonce l’injustice du système colonial. Deux adaptations cinématographiques du roman ont été réalisées, une de 1958 de René Clément et une autre plus récente de 2009 avec notamment Isabelle Huppert dans le rôle de la mère.
« Nous avons mangé la forêt de la pierre-génie Gôo » de Georges Condominas
Ethnologue français, spécialiste reconnu des sociétés traditionnelles d’Asie du Sud Est, Georges Condominas publie en 1957 cet ouvrage restituant sous la forme d’un journal de bord son expérience de terrain d’une année passée au sein d’une tribu proto-indochinoise semi-nomade, le peuple mnong gar, des hauts plateaux du centre du Vietnam.
Il décrit avec une minutie rare l’ordinaire de la vie villageoise, ses traditions, ses rites, sa vie sociale dans toute sa globalité. Une chronique attachante porteuse d’une grande modernité saluée par Claude Lévi-Strauss qui intronisa Condominas « Proust de l’ethnologie ». Une belle invitation à découvrir la région des hauts plateaux du centre trop souvent boudée à tort par les voyageurs.
Le mythique « Voyage d’exploration en Indochine » de Francis Garnier
Ce livre sur l’Indochine retrace sa mission d’exploration du Mékong qu’il entreprit en 1866 sous le commandement du capitaine de frégate Ernest Doudart de Lagrée. Une mission de deux ans hautement périlleuse qui partit de Saigon se rendit dans les fabuleux temples d’Angkor encore inconnus de l’Occident, le périple de 10 000 kilomètres, dont près de 4 000 à pied, ponctué d’aventures et de rencontres incroyables se poursuit jusqu’en Chine et Shanghaï alors qu’aucun Européen n’avait voyagé en amont au–delà de Vientiane au Laos. A lire en particulier si vous faîtes la croisière de deux jours en redescendant le Mékong de Houay Xai à Luang Prabang.