Témoins d’un passé lointain et premiers habitants de ce qui est devenu le Vietnam, le Laos et le Cambodge, les populations proto-indochinoises, aussi nommés les « Montagnards d’Indochine », formaient jadis de puissants groupes ethniques indépendants, isolés dans leurs fiefs, protégés par de hautes montagnes et des jungles inextricables.
Les Jungles moï
À l’époque de l’Indochine française ces territoires étaient dénommés Jungles moï, Hinterland moï ou de Pays des Moïs – moï étant un dérivé du mot péjoratif vietnamien qui signifie « sauvage, barbare ». Ces autochtones ou Fils d’Homme comme ils aiment s’autoproclamer, articulaient leurs vies autour de tout-puissants Génies, d’incessantes guerres tribales et d’une pléthore de traditions. L’une d’elles auréole la famille des Jaraï, l’une des plus importantes peuplades moïs appartenant au groupe linguistique austro-asiatique, qui occupe le Kontum occidental et méridional au sein des actuels Hauts-Plateaux du Centre Vietnam.
Une tradition jaraï, les Sadets
Cette tradition se rapporte aux Cham contre lesquels les Jaraï – qui sont de facto une émanation du royaume cham ayant conquis les montagnes – luttent sous les ordres de deux fameux chefs sorciers connus sous le nom de Sadet ; le Sadet du Feu et le Sadet de l’Eau.
Le Sadet du Feu
Le premier, aux appellations disparates selon les régions allant de Roi du feu, Roi supérieur, à Roi de l’est, est naguère situé au sud de l’actuel Pleiku, dans le bassin du Ya Ké, sur un affluent de l’Ayunpa, l’une des branches du Song Ba, la plus importante rivière de l’Annam central. D’après les légendes, ce roi possède le fameux sabre sacré, un précieux fétiche tombé du ciel récupéré à la suite d’aventures curieuses impliquant les rois des peuples de la terre : Chams, Cambodgiens, Annamites, Laotiens, Rhadé et Jaraï. Cet emblème hégémonique permet d’assoir son autorité divine sur les populations moïs environnantes, chame et jusqu’au royaume khmer (le détenteur du fourreau du fameux sabre) qui honore, lui, son allégeance au souverain jaraï à l’aide de mystérieux présents envoyés chaque année.
Le Sadet de l’Eau
Le second, désigné Roi de l’eau, Roi inférieur, ou encore Roi de l’ouest, et localisé sur le Ya Lop, affluent du Nam Lieou, gros tributaire de la Srépok moyenne, dispose d’une renommée et d’une influence moins étendue que son voisin. Il ne possède, d’après les uns, que d’un sceptre de bois orné de pierres précieuses appelé Tambong Phek dont le pouvoir serait de faire périr la personne qui en est touchée ; la victime, cependant, ressusciterait aussitôt au contact de l’extrémité opposée à celle qui l’a fait mourir. D’autres prétendent qu’il détient une pierre représentant le fruit Mak-yang qui doit mûrir à l’approche de la fin monde.
Un pouvoir qui s’estompe à l’époque coloniale
L’influence incontestée de ces deux chefs s’altère finalement à l’arrivée des colons français à la fin du XIXe siècle. Elle disparait définitivement lorsque le Sadet de l’Eau orchestre l’assassinat de l’administrateur Prosper Odend’hal, en avril 1904.
Ce dernier, venu dans le cadre d’une mission archéologique, et philologique, essaye de nouer des relations amicales avec ce magicien redouté pour pacifier cette région désolée par le brigandage. Un potentiel agrément se laisse entrevoir à condition que l’explorateur se présente au village du chef sans armes et sans escorte avec un interprète et trois domestiques. La témérité et l’insistance d’Odend’hal pour se faire montrer l’arme céleste causera en fin de compte sa perte.