C’est dans le nord du Vietnam, dans la province de Ninh Binh, que se trouve la cathédrale la plus connue du pays. Initiée et édifiée par une personnalité remarquable, elle est aujourd’hui considérée comme un chef-d’œuvre de l’architecture vietnamienne et comme étant le plus grand complexe architectural catholique d’Asie du Sud-Est.
La genèse du projet
Phat Diem n’était qu’une zone de marécages insalubres au début du XIXème siècle. Dès 1828, Nguyen Cong Tru, un mandarin reconnu envoyé par la cour impériale en tant qu’administrateur entame des travaux d’assèchement et de valorisation des terres, qui permettront la création de deux nouveaux districts, dont celui de Kim Son (signifiant “Mont d’or”) ; sur lequel va s’implanter la future cathédrale.
Tran Van Huu (littéralement “sixième lettré de la dynastie Tran”), naît en 1825 dans un village de la province voisine de Thanh Hoa. Il sera baptisé sous le nom de Pierre. Victime des persécutions contre les Chrétiens par Tu Duc, 4ème souverain de la dynastie des Nguyen, il s’exile à l’extrême nord du pays dans la province de Lang Son. C’est dans les montagnes frontalières avec la Chine, que les autres Chrétiens exilés lui donnèrent son surnom de “père Six”. Après une jeune vie d’adulte mouvementée, il devient prêtre en 1860, fut libéré en 1863 et est nommé un an plus tard, curé de Phat Diem. Il peut alors se pencher sur l’édification de son œuvre.
Portrait du Père Six, nommé Chevalier de la Légion d’honneur du 28 décembre 1884. Photo : Ministère de la Marine française.
La construction de la cathédrale
Elle débute par la construction d’une grotte artificielle (représentant la grotte de Bethléen, lieu supposé de la naissance de Jésus) qui sert au Père Six à calculer le coefficient d’affaissement du terrain. Après avoir consolidé une nouvelle fois les soubassements de la cathédrale, il creuse les fondations de l’édifice, dont il dessine les plans : il le divise en neuf travées, confiées chacune à l’une des neuf équipes d’artisans qu’il a formées.
Construit au milieu de l’ancien bourg de Phat Diem, selon une orientation nord-sud et les règles de la géomancie, l’ensemble fut édifié entre 1875 et 1899. Il se compose d’un bâtiment principal construit en seulement trois mois, de cinq chapelles (dont la remarquable première chapelle Saint-Pierre), de trois grottes artificielles, d’un campanile, de deux portiques, d’un calvaire et d’un étang artificiel.
La façade de la cathédrale nouvellement achevée en 1899.
Un ensemble remarquable
Au delà du symbole chrétien, c’est un exemple magistral de l’architecture vietnamienne de l’époque dynastique de Hué. Demeuré intact malgré un bombardement américain en 1972, cet imposant ouvrage reste l’œuvre d’un bâtisseur hors pair. Puisque le Père Six a résolu le double problème de l’assèchement des marécages avec d’immenses pilotis et dans le même temps, a contribué à mettre en place un système d’irrigation méthodique afin de préserver la culture du riz aux alentours. Ensuite sur le plan architectural, l’ensemble cathédral est unique, car le Père Six puisa son inspiration à la fois dans l’architecture des pagodes et des maisons communales locales, ainsi que dans les éléments de l’architecture religieuse française et des basiliques romaines de l’époque.
La logistique fut enfin considérable pour l’époque, car on achemina les matériaux depuis des carrières de pierre de Thien Duong situées à 30 km de Phat Diem et depuis les forêts de bois de fer (ou lim, de couleur rouge réputé imputrescible) de Ben Thuy, situées à 150 km du complexe. Le tout via des rondins de bois, puis sur d’énormes radeaux. Lorsqu’on visite la cathédrale, l’on est subjugué par les dimensions de cet édifice, avec ses 48 piliers de bois de fer d’une circonférence de 2 m 40, soutenant une nef haute de 12 m et longue de 80 m. Quant aux marbres du complexe, ils proviennent d’un barrage composé de blocs de marbre qui avait été érigé pour repousser les navires français en 1883, à l’entrée du canal de Ninh Binh lors de la conquête du Tonkin. Lorsque la guerre fut terminée, ce barrage n’avait donc plus de raison d’être.
Tête d’ange sculptée au début du XIXème siècle.
La postérité
La personnalité du Père Six s’est véritablement révélée avec l’édification de ce complexe religieux. Il n’était plus un curé mais aussi un chef de projet, un logisticien, un architecte mais aussi un diplomate hors pair, contribuant à apaiser les tensions entre catholiques et les membres de la cour impériale d’Annam. Les colons français le sollicitent également puisqu’il est régulièrement consulté par les officiers français, comme le capitaine Joffre et le commandant Lyautey ; et par les Empereurs d’Annam qui le placent finalement au rang de ministre d’État. Des français, il reçoit la distinction d’Officier puis Chevalier de la Légion d’honneur. Quand il meurt en 1899, près de 40 000 personnes assistent à ses funérailles. Sa mémoire demeure si glorieuse que 25 ans plus tard, l’Empereur Khai Dinh lui décerne à titre posthume, le titre de baron de Phat Diem.
Quant à la cathédrale, elle est aujourd’hui visitée par de nombreux catholiques constituant un lieu de pèlerinage majeur de la foi chrétienne en Asie du Sud-Est. De nombreux artisans et architectes contribuent à entretenir et à embellir sa structure et son intérieur exceptionnels.
Monseigneur Armand Olichon a documenté la vie du Père Six dans ce livre paru en 1941.
Photo bannière : Nef de la cathédrale de Phat Diem. Photo : Peter Steinhauer.
