Dans la continuité de nos publications sur le haut plateau central vietnamien et au sujet des civilisations proto-indochinoises, en cette édition nous abordons le sujet des Rhadé, un groupe majeur de la région.
Des clans sortis de terre
Les Rhadé (Edé– Radé – Anak Dagar) appartiennent au groupe ethnique austronésien du Vietnam, en 2019, ils sont estimés en 2019 à trois cent quatre-vingt-dix-huit âmes. Leurs croyances mentionnent que leurs clans seraient sortis de terre. Le premier à sortir est celui des Ayun, il s’empare des arbres et des bambous, le deuxième, les Eban prend les branches, le troisième, les Mloo prend les feuilles, le quatrième, les Knul prend les herbes et la paillotte, le cinquième, les Hmôk prend l’eau ; les derniers à sortir, avant les femmes, les Nié ne trouvant plus rien à prendre frappe le sol du pied et s’en empare.
La région du Dac Lac
Les clans se rependent ensuite sur tout le Dac Lac (Darlac), une région se formant de plateaux basaltiques et de sommets dont le Chu Die Yang (911 m,), le Chu Kbo (902 m.) et le Chu Yang Sin (2242 m). À l’époque la région est constituée de savanes inondées, de pans de forêts-basses, de lacs et de marais aux contours incertains, étendues mouvantes et vaporeuses, recouvertes d’herbes géantes, de nénuphars, lotus, bambous et roseaux ; les plus étendus étant les marais méridionaux qui ceinturent le moyen et bas Krông Ana et une partie du bas Krông Knô (rivières Femelle & Mâle).
Une société matrilinéaire
Le groupe est de culture matrilinéaire, la descendance est tracée par la lignée féminine, et les biens familiaux sont entre les mains des femmes et hérités d’elles. Les femmes, leurs conjoints et leurs enfants vivent ensemble dans une maison longue pouvant parfois mesurer plus de cent mètres. La lignée détient des biens d’entreprise tels que des rizières, du bétail, des gongs, des jarres des forêts, jadis des esclaves, des éléphants ; ceux-ci sont détenus par la femme la plus âgée du clan. La lignée s’occupe également de l’exploitation des terres communes et de l’entretien de la maison longue. Le chef de la maison longue lui-même est un homme, dont la position est le plus souvent héritée par le conjoint de la fille ou de la belle-sœur du chef de la maison longue précédente. Les villages rhadé sont traditionnellement autonomes et gouvernés par une oligarchie de familles dirigeantes, certains sont localement dominants.
Les maisons longues
Les maisons longues sont des structures en bois, bambou et palmes. Le bois dur est utilisé pour les colonnes et les poutres, tandis que le bambou et les feuilles de palmier servent à construire les murs et les toits en forme de bateau renversé. Les maisons longues peuvent être extrêmement étirées, jusqu’à deux cent mètres. L’espace est divisé en deux parties principales : l’espace commun, situé à l’avant, dédié aux réunions, aux cérémonies, et à l’arrière, l’espace étant réservé aux chambres privées. Les structures sont souvent ornées de motifs et sculptures en bois représentant des animaux, des esprits protecteurs ou des scènes de la vie quotidienne.
Déités et Caa
Les Rhadé sont anciennement animistes, ils croient en un panthéon de dieux et de génies, ils vénèrent la grive-pie, l’oiseau de vérité qui apprend aux chefs de clans à rendre la justice et leur enseigne le code du droit coutumier, le célèbre Bi-Duê. Les déités le plus importantes sont Ae Die et Ae Du, les créateurs, suivit par l’esprit du riz, la Mère paddy. À l’instar d’autres groupes proto-indochinois, ils attribuent les maladies, la mort et autres à un Caa (ou Kia, un esprit malfaisant). Lorsqu’une personne est malade (possédée par un Caa), un chaman intervient et procède à une série d’incantations et à divers sacrifices suivant la gravité de l’affaire. Les Caa sont plus ou moins puissants suivants les maux. Ils deviennent Caa à la suite d’une mort violente : tués par un fauve, massacrés au combat, foudroyés ou décapités ; les plus malveillants étant les Caa des femmes mortes en couche. Les Caa des enfants morts en bas âge sont redoutés des femmes qui désirent avoir d’autres descendants.
Chasseurs d’éléphants
Jadis les Rhadé sont renommés pour leurs compétences de chasseurs de tigres et d’éléphants. Leur fief, Ban Don à la frontière cambodgienne est réputé dans tout le sud de l’Indochine péninsulaire. Une fois par an, en fin de saison sèche, les chefs de clan réunissent leurs chasseurs, leurs pisteurs, rabatteurs et traqueurs ; quand une harde est signalée, après les sacrifices rituels, la troupe s’élance durant plusieurs jours à la poursuite des éléphants. Une fois la harde repérée, des cornacs montant des éléphants domestiqués poursuivent et isolent des pachydermes précédemment identifiés, qui, une fois acculés, sont capturés au moyen d’un long lasso, ce avant d’être ramenés aux villages ceinturés entre deux éléphants domestiqués. Un éléphant y est ensuite placé dans un enclos et entre les mains d’un cornac censé le domestiquer ad vitam aeternam.
Cham, Thaïs et Birmans parcourent des centaines de lieux vers le sud du Dac Lac et y troquent des gongs précieux et des jarres contre des éléphants capturés. Par la suite, les Rhadé usent les éléphants pour le débardage et le transport, dans le passé dans le cadre de la guerre, pour leur ivoire et pour leur viande dont certaines parties auraient des vertus somnifères, les poils des pattes étant utilisées en guise de cure-dent et en préventif des caries. L’éléphant est pareillement dressé et utilisé pour divers supplices, le plus commun étant le lent écrasement du crâne de la victime sous sa patte dont la pression est dictée par le son d’un gong.
La confédération rhadé
Avant l’arrivée des Français, les Rhadé sont organisés en une puissante confédération régnant sur tout le Dac Lac. Par la suite, leurs terres sont en parties assimilées par des colons français ou vietnamiens. À parfois leurs dépends, ils sont impliqués dans les guerres d’Indochine, lors de la première via le GCMA et divers clans embrigadées dans l’armée française, plus tard dans les forces spéciales américaines.
Quelques célébrités rhadé
Parmi les personnage célèbres du peuple rhadé se distinguent Y Bham Enuol (ancien leader du Fulro), Y Dieng (écrivain et ethnologue), Y Moan (un chanteur) et H’Hen Nie (arrivée dans le top 5 de Miss Univers Vietnam 2018).
Divers modules sont réalisables dans le Dac Lac, notamment au Lak Lak et dans le parc national de Yok Don.
En savoir plus sur un autre groupe ethnique du haut plateau central vietnamien : les Sedang.