Le Sud Vietnam se distingue par son delta du Mékong, ses îles et Saïgon, mais aussi par Tây Ninh, une province parfois délaissée sur laquelle nous revenons en cette édition.

Tây Ninh est célèbre pour sa montagne de la Dame Noire, pour être le fief du Caodaïsme et pour les opérations qui y furent menées durant la Guerre du Vietnam, notamment Junction City.

Carte de la province de Tay Ninh

Carte de la province de Tây Ninh

Frontalière avec le Cambodge

Tây Ninh se localise le long de la rivière Van Dong, un cours affluant depuis le Cambodge :

  • sur l’est, la province longe la frontière khmère, au niveau du bec de canard, et la province de Svay Rieng,
  • vers le nord et le nord-est, elle borde la province de Mondulkiri.

Jadis, la région est recouverte de forêts et de marécages et correspond au nord du pays stieng, un groupe proto-indochinois.

Elle a l’aspect d’un plat-pays d’où émergent çà et là quelques éminences dont le Nui Ba Den.

La montagne de la Dame Noire

Cette montagne a surgi dans la plaine cochinchinoise et se voit sacralisée depuis l’antiquité. Le Nui Ba Den (985 m), la montagne de la Dame Noire (Black Virgin mountain), le Phnom Chol Baden des Cambodgiens, est le siège d’une divinité tutélaire locale d’origine cambodgienne.

La montagne de la Dame Noire

La montagne de la Dame Noire, photo de Sun Group

Elle est un ancien volcan d’où s’étendent des coulées basaltiques ; elle est prolongée par deux autres monts :

  • le Nui Heo,
  • le Nui Voi (le Mont de l’Eléphant).

Diverses légendes concernent le site, la plus ancienne, un mythe khmer, implique une divinité féminine, la Neang Khmau, qui aurait laissé ses empreintes sur les rochers et les faces de la montagne.

Le mythe vietnamien est de facto centré sur une femme, Ba Den : elle tombe amoureuse d’un soldat qui, par trahison ou suicide, meurt sur la montagne. La montagne est vénérée par les Bouddhistes et par les Caodaïstes dont le Saint-Siège est non-loin au sud-ouest.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la montagne est occupée par les Japonais, puis par le Vietminh, ses alentours sont le théâtre d’affrontements.

La version des archives

Le guide Madrolle de l’Indochine du Sud la décrit ainsi : … Au pied de la montagne s’élève un chemin millénaire, véritable escalier taillé dans le roc. On monte au milieu d’un entassement de blocs granitiques, à l’ombre d’arbres aux proportions souvent gigantesques. Des pèlerins, pauvres gens, silencieux gravissent ce chemin de l’espérance. Après 50 min d’ascension, l’escalier devient plus raide, une rampe même y est fixée. Puis une plate-forme, c’est le temple. A 280 mètres d’alt, une cavité s’entrouvre, c’est la grotte des Cham. De longues pierres brutes qui se dressent dans le voisinage. Ces menhirs furent partout l’objet d’un culte au néolithique, ce sont les lingas des religions hindoues. Du terme cambodgien, les Annamites ont fait Hang Cham ou Hang ong Cham. Cette hauteur imposante, souvent enveloppée par les brouillards, est pour le peuple la Nui-Cho’n Ba Den, la sainte montagne Dame Noire, et pour les lettrés la montagne Van So’n, l’esprit des Nuages… Les Cambodgiens, les Annamites et les Chinois mêmes viennent en pèlerinage en février et vers la mi-août, aux divers temples de la montagne…

Tây Ninh, le Saint-Siège du Caodaïsme

Le Caodaïsme est un courant religieux et politique apparu entre 1920 et 1930 au Sud Vietnam. La doctrine gravite autour de la réconciliation entre Occident et Orient, en rassemblant dans un panthéon le christianisme, le bouddhisme, le taoïsme et le confucianisme, autour de Cao Dai, le créateur suprême dont le symbole est l’œil ouvert qui agrémente les temples.

L’œil divin du Caodaïsme, photo de Adam Cathro

L’œil divin du Caodaïsme, photo de Adam Cathro

Jeanne d’Arc et Victor Hugo parmi d’autres

Les Caodaïstes divinisent d’autres déités, des génies, des saints dont :

  • Confucius,
  • Lao-Tseu,
  • la déesse Quan Am (la Kouan Yin des Chinois ou l’Avalokitésvara des hindouistes),
  • le poète chinois de Li Tai Po (Tang Ly Thai Bach),
  • la divinité de la guerre Quan Cong,
  • et d’autres éléments panathénaïques comme Jeanne d’Arc et Victor Hugo.
Sun Yat Sen, Victor Hugo, et Nguyen Binh Khiem

Une représentation murale de Sun Yat Sen, Victor Hugo, et Nguyen Binh Khiem, trois saints majeurs du Caodaïsme

La doctrine caodaïste préfigure un troisième et dernier cycle de l’humanité : son jugement dernier, le Hoi Long Hoa (l’Assemblée de la Fleur du Dragon), les fidèles sont donc dans une perpétuelle quête de salut. Un organe, le Palais de l’alliance avec le Ciel (Hiep Thien Dai), est constitué de mediums dont la mission céleste constitue à créer un intermédiaire entre humains et déités sacrées du panthéon.

La Caodaïsme et Tây Ninh dans l’histoire

La doctrine revêt un aspect politico-religieux et maçonnique, elle se diffuse dans le delta du Mékong et se heurte à d’autres mouvements dont celui des Hoa Hao.

Entre 1930 et 1940, les Caodaïstes s’orientent sur la voie d’un nationalisme teinté de monarchisme ; en 1941 ils forment une alliance avec l’armée impériale japonaise et mènent une propagande anti-française. En 1949, les forces armées Cao Dai (F.A.C.D) prennent de l’ampleur dans la région et forment une alliance avec les Français afin de se prémunir de la croissante présence du Vietminh. En 1954, l’armée caodaïste compte deux cent quinze forts et son effectif est estimé à soixante-cinq mille hommes. Entre 1956 et 1958, trois mille quatre cent Caodaïstes sont emprisonnés et l’armée est dissoute, certains demeurent dans des maquis.

Leurs critiques des forces communistes jusqu’en 1975 est un facteur de répression, après la chute de Saigon, lorsque le nouveau gouvernement interdit la pratique du Caodaïsme. En 1997, il est de nouveau reconnu légalement et pratiqué sans restriction.

Tây Ninh durant la guerre du Vietnam

Operation durant la Guerre du Vietnam, en arrière-plan, la Montagne de la Dame Noire

Opération durant la Guerre du Vietnam, en arrière-plan, la Montagne de la Dame Noire

Durant la Guerre du Vietnam, le nord de Tây Ninh est appelé Triangle de Fer. Ce triangle est situé entre la rivière Saigon à l’ouest, et la rivière Tinh à l’est, et borde la route N13 à environ quarante kms au nord de Saigon, le sud du Triangle le fameux bec de canard.

À l’époque, le Triangle de Fer est recouvert de sous-bois denses, de zones marécageuses, de clairières recouvertes d’herbes à éléphant ; il est quadrillé par un réseau de ruisseaux, de rivières et de canaux inextricables où rodent crocodiles et cobras. Les Vietnamiens y élaborent un labyrinthe de fortifications et de tunnels. Les premiers tunnels sont construits en 1880 pour enrayer la colonisation française, puis durant l’occupation japonaise.

Durant la Guerre du Vietnam, les tunnels sont élargis et servent de base contre le gouvernement de Ngo Dinh Diem. L’armée américaine y organise diverses opérations, notamment Cedar Falls, Attleboro et Junction City, cette dernière visant pareillement les sanctuaires nord-vietnamiens au Cambodge.

Structure classique des installations du Triangle de Fer

Structure classique des installations du Triangle de Fer / Source : Tet Offensive 1968

Tây Ninh de nos jours

Tây Ninh peut se visiter au départ de Saigon, par exemple en remontant la rivière Saïgon, puis via les tunnels de Cu Chi. Sur place, divers sites sont visitables dont :

  • le Saint-Siège du Caodaïsme,
  • la montagne de la Dame Noire,
  • le Triangle de Fer,
  • le parc national Lo Go-Xa Mat pour les amateurs de nature…
Parc national Lo Go-Xa Mat

Le marabout argala, parfois nommé “grand adjudant”, dessin de Nicolas Huet et Jean Gabriel Prêtre

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