Dans ce papier, nous démystifions le dhôle (Cuon Alpinus), le chien sauvage d’Asie, une espèce fascinante qui habite les forêts et les prairies du continent asiatique. Malgré ces dynamiques sociales remarquables, le dhôle reste l’un des carnivores les moins étudiés du règne animal.

Le dhôle ou chien sauvage, © crédit illustration : Mivart, St. George Jackson, 1827-1900

Le dhôle ou chien sauvage, illustration de Mivart, St. George Jackson, 1827-1900

Un canidé à l’apparence de coyote asiatique

Le dhôle, est un mammifère de la famille des canidés. Il se distingue des autres chiens sauvages par sa couleur rousse et son pelage dense. Son crâne est large et massif, avec une crête sagittale bien formée, et des muscles masséters très développés par rapport à d’autres espèces de canidés, lui donnant à son visage un aspect presque d’hyène. Son corps est élancé et ses pattes relativement courtes par rapport à sa taille, ce qui le rend particulièrement véloce dans les zones boisées et les prairies. Ce genre de coyote asiatique de taille moyenne a des oreilles pointues, précieuses pour localiser ses proies et communiquer avec sa meute. Sa fourrure épaisse peut varier du jaune doré pâle au brun rougeâtre foncé, en passant par le brun grisâtre, selon la région où il se situe. Ses yeux sont de couleur ambre. Sa queue touffue a une extrémité d’un ton plus foncé, le plus souvent noir. Plus petit que le loup et le chacal, le dhôle mâle pèse en moyenne entre 15 et 20 kg, tandis que la femelle pèse entre 10 et 17 kg.

Réparti sur toute l’Asie

Le dhôle est principalement réparti en Asie du Sud et du Sud-Est, du Pakistan à l’ouest jusqu’à la Chine et la Corée à l’est. Il est également présent en Inde, au Tibet, au Bhoutan, en Thaïlande, au Laos, au Vietnam et en Malaisie. Il préfère les habitats de forêts tropicales et subtropicales, mais aussi les collines, les zones de prairies et de broussailles. Il aime les espaces ouverts et se déplace sur de vastes territoires, s’adaptant à une large variété d’environnements. On le trouve souvent sur les routes, les clairières, les lits de rivière et les chemins de jungle, où il se repose pendant la journée. En outre, des preuves solides attestent d’un mélange génétique ancien entre le dhôle et le chien sauvage d’Afrique, un rapprochement, qui selon certaines théories, a lieu au Pléistocène, lorsque l’espèce fréquente le Moyen-Orient, aux portes de l’Afrique du Nord.

Gravure du dhole sibérien, © crédit illustration Leopold v. Schrenck

Gravure du dhole sibérien, illustration de Leopold v. Schrenck

Une vie en meute hiérarchisée

Contrairement aux autres canidés sauvages, le dhôle a une structure sociale unique à la fois complexe et hautement organisée. Il vit en meute allant jusqu’à quarante individus, bien qu’en général, elle soit plus petite. Celle-ci est souvent dirigée par un couple dominant, composé d’un mâle et d’une femelle, qui a la priorité en matière de reproduction et de nourriture ; les autres membres incluent les jeunes de l’année précédente et de l’année en cours, ainsi que des individus plus âgés ayant quitté leur meute d’origine.

Ses moyens d’expression sont variés : il produit un sifflement à l’instar des cris de renards roux, une sorte de coo-coo, vraisemblablement pour coordonner la meute, et un cri kakakakaa lors des attaques ; mais aussi des gémissements pour solliciter sa pitance, des grognements pour les avertissements, des bavardages sous forme de cris d’alarme et des jappements. Contrairement aux loups, il n’hurle, ni n’aboie.

Méthodes de prédation

Cette créature intelligente chasse principalement le jour, généralement aux premières lueurs du matin, à l’aide de tactiques coopératives très sophistiquées, incluant la diversion ou le flanquement qui désoriente la victime, incluant pour n’en nommer qu’une partie, le cerf, le sambar, le muntjac, le gaur, le sanglier, le buffle d’eau, la chèvre, voire, selon des rumeurs, le tigre. Endurant de nature, il peut chasser sur de longues distances, avec des pointes à cinquante kilomètres par heure, et grimpe même aux arbres lorsque son gibier l’y oblige. Un intellect qui se cristallise aussi dans son comportement parental protecteur envers les siens et les plus vulnérables.

Un pack de dholes, © crédit illustration Winifred Austen

Une meute de dholes de Winifred Austen

Contes et légendes

Dans la mythologie bouddhiste, le dhôle est considéré comme le gardien des portes de l’enfer. Dans la culture tibétaine, il symbolise la loyauté et la camaraderie. On le peint et formule des poèmes à son égard dans l’art et la littérature asiatique. Sur la pierre de couronnement du stupa de Bharhut, datant de 100 ans avant J.-C., trois animaux aux airs de dhôle apparaissent au pied d’un arbre guettant une femme ou un esprit perché en hauteur, une scène qui n’est pas sans rappeler Tiger Hunted by Indian Wild Dogs (1807), de l’artiste anglais Samuel Howitt, une œuvre composée sur base de l’une des premières descriptions du dhôle réalisée par Thomas Williamson au début du XIXème siècle.

  • En Inde, l’animal pâtit d’une mauvaise réputation qui se transcrit par la profusion de noms péjoratifs en hindi : diable rouge, chien diabolique, diable de la jungle, ou chien de Kali.
  • Les Nivkhes (ou Gilyak), indigènes de Russie, craignent considérablement l’animal. Certainement une des raisons pour laquelle le naturaliste allemand de la Baltique, ethnologue et zoologiste Leopold von Schrenck éprouva des difficultés à récolter un spécimen au milieu du XIXème siècle lors de son exploration du fleuve Amour.
Deux générations

Deux générations

  • Sur le continent européen, nombreux écrits dépeignent le canidé. Les sagas ostrogothes de l’Antiquité tardive le qualifient de chien de l’enfer. Selon Charles Hamilton Smith, les dangereux canidés sauvages mentionnés par Scaliger, l’érudit d’origine italienne, aurait vécu dans les forêts de Montefalcone, dans la province de Pise, en Italie, car décrits comme différents des loups par ses habitudes, sa voix et son apparence. Les armoiries de la famille Montefalcone intègre une paire de chiens rouges.
  • En France, on l’apparente aux chiens démoniaques qui habitent la forêt légendaire de Brocéliande ; ou qui accompagnent Arlequin (Hellequin, ou Herlequin), l’émissaire du diable au visage noir dans les représentations théâtrales de Passions (ou mystère) du Moyen-Âge, la Mesnie Herlequin, la version française médiévale de la chasse sauvage germanique (Wütendes Heer ou der Wilden Jagd), ou the Wild Hunt en Angleterre. Aussi, le dhôle apparait dans Chien Rouge (1895), la septième histoire du Second Livre de la Jungle de Rudyard Kipling, où il est qualifié d’animal agressif et assoiffé de sang qui descend du plateau du Deccan dans les collines de Seeonee, habitées par Mowgli et sa meute de loups adoptifs.
Dhole, photo de Wildlife Woods

Un dhole à l’état sauvage, photo de Wildlife Woods

Une existence menacée

Aujourd’hui, le dhôle est considéré comme une espèce en danger (EN) sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Peu connu des scientifiques et largement ignoré par les défenseurs de l’environnement, il est confronté à la déforestation généralisée, à la fragmentation de son habitat, à la chasse, au manque de proies, aux empoisonnements et aux maladies. Ce phénomène est accentué par un accès aux ressources en concurrence direct avec d’autres carnivores tels que le tigre et le léopard. Une existence qui va à vau-l’eau malgré des signes encourageants au Nord-Est Laos, dans le parc national de Nam Et-Phou Louey, où une étude d’août 2020 démontre que les carnivores sympatriques comme la panthère nébuleuse (Neofelis nebulosa), le chat doré asiatique (Catopuma temminckii), le chat marbré (Pardofelis marmorata), ou encore le chat léopard (Prionailurus bengalensis) arrivent relativement à coexister avec le dhôle, malgré un chevauchement alimentaire significatif au sein du parc. Une coexistence possible grâce à un partitionnement temporel des zones de chasse, et à la sélection des proies (notamment en fonction de leur taille) pour se protéger de tout cleptoparasitisme.

Dhole Cuon alpinus

Le Greyhound Dhole (Chryseus). Gravure coloriée par Lizars d’après une illustration de Charles Hamilton Smith, Édimbourg, 1843.

Les actions de préservation en cours sur la péninsule Indochinoise

Au même titre que les grands prédateurs, le dhôle est considéré comme une espèce « parapluie » et « clé de voute », un maillon essentiel de la chaîne alimentaire influençant radicalement l’équilibre de son écosystème. L’étude et le suivi de sa population combinés à un renforcement des règlementations de protection semblent indispensable à sa survie. Sur la péninsule Indochinoise, ces avancées se cristallisent par un décret protégeant le dhôle de tout forme de chasse au Cambodge, une reconnaissance au niveau national de son statut d’espèce en danger au Vietnam, et des études de terrain menées dans le parc national de Nam Et-Phou Louey au Laos, où l’animal est régulièrement capturé par les pièges photographiques installés sur les itinéraires de trekking développés par les rangers. Ces modules d’aventure qui bénéficient directement aux populations locales dont les Khmu, les autochtones du Laos, et à la préservation de l’écosystème, peuvent s’intégrer dans un voyage au Nord Laos, en combinaison avec la visite du mont forteresse du Phu Pha Thi, le Lima Site 85, sommet stratégique lors des conflits Indochinois ; de la cité royale UNESCO de Luang Prabang ; et de l’énigmatique plaine des Jarres à Phonsavan.

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