L’utilisation abondante et variée des herbes aromatiques est l’une des clés de la richesse, de la complexité et de la singularité de la cuisine vietnamienne. Au-delà d’un simple listing des herbes les plus consommées, nous avons voulu savoir pourquoi les herbes sont-elles si importantes dans cette cuisine par rapport aux autres cuisines ? D’où viennent-elles et à quoi servent-elles ?
Origines et influences
Si l’on ne peut pas dater exactement l’origine de l’emploi des herbes aromatiques dans la cuisine vietnamienne, nous savons que l’utilisation de ces herbes remonte à l’Antiquité et pour des raisons déjà médicinales et alimentaires. Les herbes étaient en effet employées par les populations locales pour traiter des maux courants tels que les problèmes digestifs, les maux de tête et les douleurs musculaires. Sur le plan alimentaire, ces herbes poussent en abondance avec le climat humide d’Indochine et offraient donc un garde-manger accessible à tous.
Des herbes originaires d’Indochine
De nombreuses herbes incorporées dans la cuisine vietnamienne d’aujourd’hui et cultivées à travers toute l’Asie orientale sont originaires d’Indochine. La coriandre vietnamienne (Persicaria odorata) ou rau ram en vietnamien, est certainement la plus représentative de toutes puisque cette plante était une espèce endémique à cette région. Utilisée aujourd’hui de manière généralisée dans la cuisine locale, elle est parmi la plus parfumée des espèces de la famille des Polygonacées. Autre herbe indochinoise, la pérille aromatique (Perilla Frutescens) ou tia to en vietnamien est la seule ayant laissé des traces archéologiques, puisque l’on a retrouvé une fiole contenant une huile comestible extraite de cette herbe au Myanmar datant de l’Antiquité. Le basilic thaï (Ocimum basilicum var. thyrsiflora), hung que au Vietnam, est lui aussi originaire d’Asie du Sud-Est. Enfin, nous pouvons citer la menthe de poisson (Houttuynia cordata), diep ca au Vietnam.

Quelques herbes aromatiques vietnamiennes courantes. Illustration : Cooks Illustrated 2022.
Une variété d’herbes élargie au fil des siècles
Puis au fil des siècles, la cuisine vietnamienne a été influencée par différentes cultures, notamment chinoise, indienne et française, ce qui a enrichi la diversité des herbes utilisées. On peut évoquer notamment l’apport proche des herbes originaires de Chine, comme la ciboulette chinoise (Allium tuberosum), hoa he en vietnamien ou son cousin la ciboulette à fleurs d’ail, appelée he. Provenant de beaucoup plus loin, évoquons la coriandre (Coriandrum sativum) et l’aneth (Anethum graveolens), respectivement ngo et thi la en vietnamien, tous deux originaires de la Méditerranée orientale et ramenée probablement par la voie maritime ; quant au bétel (Piper betle), la lot en vietnamien, il est originaire de la Malaisie actuelle et a été probablement introduit au Vietnam par les Cham, peuple austronésien. Ou encore la coriandre épineuse (Eryngium foetidum) appelée ngo gai localement, originaire de la lointaine Amérique tropicale.

Herbes aromatiques sur un étal de marché au Vietnam. Photo : Chloe Mi.
Un emploi très varié
Les herbes aromatiques sollicitent nos cinq sens lorsque nous mangeons, car elles contribuent d’abord à l’équilibre des saveurs et des parfums, en apportant une complexité qui équilibrent les autres saveurs du plat. Elles ajoutent des notes acidulées, piquantes, mentholées ou anisées, créant ainsi une harmonie gustative en goût.
Ensuite, les herbes aromatiques dégagent des parfums subtils et enivrants qui stimulent l’appétit et invitent à la dégustation. Chaque herbe a son propre parfum et leur combinaison crée une symphonie olfactive qui met en éveil notre odorat.
Enfin, les herbes aromatiques apportent une touche de fraîcheur (les plats sont servis souvent très chauds au Vietnam) et de verdure aux plats, ce qui les rend plus attrayants visuellement. Elles servent également de décoration pour embellir les présentations pour le plus grand plaisir de nos yeux.
Les herbes, bases de la médecine traditionnelle vietnamienne
Les herbes aromatiques nourrissent et soignent le corps. Utilisées depuis des siècles dans la médecine traditionnelle vietnamienne, certaines herbes sont reconnues pour leurs propriétés médicinales et notamment sur leur apport en vitamines et minéraux, leurs effets digestifs et relaxants et pour leurs propriétés anti-inflammatoires et antibactériennes. Elles peuvent être consommées fraîches, infusées ou utilisées en huile essentielle.
Parmi les herbes les plus bienfaitrices, on retrouve la coriandre (ngo), certainement la plus riche en antioxydants, la coriandre vietnamienne (rau ram), véritable herbe ovni utilisée pour traiter les maux de tête et les douleurs menstruelles, le basilic thaï (hung que) aux propriétés anti-inflammatoires ou encore la citronnelle (sa) aux propriétés antibactériennes et relaxantes efficaces.

Un étal de médecine traditionnelle vietnamienne.
Les herbes, marqueurs culturels forts
Certaines herbes aromatiques prennent une dimension culturelle lorsque leur emploi variant selon les plats et les régions, permet de souligner la singularité propre à chaque plat et à chaque cuisine régionale. Évoquons par exemple l’aneth (rau thi la) qui est la seule herbe cuite de la cuisine vietnamienne en étant incorporée dans un plat signature de Hanoï, le cha ca vong. La citronnelle est très employée dans la cuisine du centre et du sud, où elle se marie très bien avec la noix de coco et le piment, deux autres ingrédients typiques du Vietnam central et méridional. Dans la cuisine de Hue, la citronnelle fait même office de pique pour les brochettes de crevettes ou de bœuf. Ou encore le basilic thai (hung que) herbe phare accompagnant un bol de hu tieu, soupe emblématique de Saïgon. Mais au-delà des cuisines régionales, la cuisine vietnamienne se distingue de toutes les autres par un emploi abondant d’herbes fraîches, contrairement par exemple à la cuisine occidentale, où les herbes sont souvent séchées et utilisées en très petite quantité.

L’aneth (rau thi la), seule herbe cuite de la cuisine vietnamienne et utilisée pour le cha va vong, plat emblématique du Nord Vietnam.
Au-delà de ses origines, de ses propriétés gustatives et de son emploi dans ses variantes régionales, les herbes aromatiques font office de réels condiments et ont une place essentielle dans la cuisine vietnamienne. Car ces herbes contribuent pleinement à l’équilibre des saveurs (vua an) et à l’harmonie constamment recherchée d’une cuisine qui parle tout d’abord de pimenté, d’épicé ; puis de solide, de chaud, de froid et enfin ; de bois, de feu, d’eau, de métal et de terre.
