Vous l’avez forcément déjà rencontré si vous avez voyagé en Asie du Sud-Est. Au Laos on le croise partout ou presque : sur l’autel d’une maison, dans un escalier descendant vers un cours d’eau, et bien sûr à l’entrée des temples.
Alors que vous vous apprêtez à pénétrer dans la cour, il se dresse devant vous, gardant l’espace sacré de la pagode: le naga.
Une créature puissante et ambivalente
Le naga (naak en Lao) est une créature mythique souvent représentée sous les traits d’un serpent géant dont la tête est couronnée d’une crête et la gueule garnie de dents acérées. La plupart des sources retracent l’origine de la créature en Inde. Mais alors que la figure du naga est présente dans toute la région Asie-Pacifique, son culte est particulièrement important dans la vallée du Mékong. Au Laos le puissant reptile était déjà honoré par les populations proto-tai (200 av. J.-C. – 200 apr. J.-C.), bien avant l’arrivée du bouddhisme dans la région.
La figure du naga est associée à l’eau et à la fertilité. Sa colère peut engendrer de terribles catastrophes (inondations, noyades), alors que correctement honoré, le naga peut être protecteur, nourricier et même créateur. Maîtres du monde sous terrain, les nagas peuvent aussi voler afin de communiquer avec les divinités du ciel. Et bien qu’ils vivent dans leur propre royaume, certains nagas peuvent se transformer afin de visiter le monde des humains sous la forme d’un serpent ou d’un séduisant jeune homme.
Luang Prabang et les nagas
Alors que le naga fait partie intégrante de l’architecture des temples bouddhistes du Laos (faîte des toits, contreforts, et surtout rampes d’escalier), son culte apparaît bien avant l’extension du bouddhisme dans la région, d’abord sous la forme du « ngeuak ». Les termes naga et gneuak sont parfois utilisés comme synonymes, mais peuvent aussi désigner deux divinités différentes, ou deux facettes d’une même créature. Les deux figures sont en tout cas représentées à Luang Prabang, en particulier dans l’architecture religieuse. Alors que le naga a généralement un corps allongé et une crête, le ngeuak est représenté avec des pattes (tenant parfois un poisson) et des défenses sortant de sa gueule.
Ce sont ces deux créatures qui gardent farouchement l’entrée de la magnifique chapelle contenant l’effigie du Prabang sur le site de l’ancien palais royal de Luang Prabang. Cet exemple illustre parfaitement la hiérarchie entre les deux bêtes et les différents mouvements spirituels auxquels elles sont associées. Lorsque l’on se tient devant l’édifice doré, la première rangée d’escaliers est garnie d’une rampe en forme de ngeuak. Avec ses pattes et ses défenses, il tient davantage du crocodile que du serpent, ce qui le différencie clairement du naga. Les escaliers du second niveau, donnant directement accès à la chapelle, sont gardés par des nagas. Alors que les rampes des escaliers latéraux sont formées par un naga à une tête, celles de l’escalier central menant directement au Prabang sont faites de deux nagas à sept têtes. On voit bien ici la hiérarchie accordée aux différentes versions du puissant reptile, avec à la base de l’édifice le ngeuak, puissant, mais sauvage et imprévisible, puis sa version «bouddhisée» avec le naga, civilisé et protecteur. C’est le naga à sept têtes, celui même qui a protégé le Bouddha lors de sa méditation, qui mène à la statue du Prabang, figure religieuse vénérée au Laos et qui a donné son nom à l’ancienne capitale royale.
Les festivals comme offrandes à Bouddha et aux nagas
Le naga est souvent associé à la fondation de lieux et de cours d’eau. Le mythe de fondation de Luang Prabang rapporte ainsi que quinze nagas furent appelés par les ancêtres de la ville (Pou Gneu et Gna Gneu dont les masques sortent à l’occasion du Nouvel An lao) juste après sa création. On raconte que les nagas surgirent de l’eau et se transformèrent en dignitaires. Ils furent envoyés aux quatre coins de la cité afin de la protéger, mais demandèrent en retour de régulièrement recevoir des offrandes de la part du roi.
Alors que la royauté n’est plus, les festivités liées au culte des ancêtres de la ville et de certaines divinités protectrices, telles que le naga, perdurent. Ainsi les principaux festivals de la ville, bien que liés au bouddhisme, sont aussi tenus en hommage aux nagas. Les exemples les plus représentatifs sont le festival des lumières (ou « fête des bateaux de feu ») et la course des pirogues.
A Luang Prabang, la seconde moitié de la saison des pluies (août-septembre) est marquée par le festival des courses de pirogues, boun souang heua. Les courses se déroulent entre les équipes des différents villages de Luang Prabang, composées d’une cinquantaine de rameurs assis en deux rangées sur une longue pirogue de bois filant sur l’eau de la rivière Khan (Namkhan). Bien que devenues un événement davantage social et sportif que spirituel, les courses restent associées à la figure du naga, que représentent les pirogues utilisées pour les compétitions.
En savoir plus sur les fêtes au LaosIl y a quelques années, un serpent a été vu descendant de la colline sacrée de la ville (Phou Si) à la fin du festival des courses de pirogues. Une fois descendu, le reptile traversa la route longeant la rivière Khan pour finalement se plonger dans le cours d’eau. On raconte qu’il s’agissait certainement d’un naga, qui voulant assister aux courses données en son honneur, s’était installé sur la colline d’où il eut une vue imprenable sur la rivière.
Boun lai heua fai, littéralement “fête des bateaux de feu”, se déroule au lendemain des célébrations de la fin du carême bouddhiste (boun ok phansa), dans le courant du mois d’octobre. Pour l’occasion, chaque village ou quartier de la ville (baan) construit son propre bateau de lumière: une structure de métal et de bambou recouverte de papier coloré et formant généralement un naga. En son centre trône souvent un stupa ou une fleur de lotus, rappelant l’aspect bouddhiste des célébrations. Les bateaux, longs de plusieurs mètres, sont fabriqués pour flotter –contrairement à ceux construits dans les temples qui ne peuvent être déplacés. Les festivités se couronnent par une grande parade de plusieurs dizaines de bateaux-naga qui, illuminés de centaines de bougies, se dirigent vers le Mékong où ils seront mis à l’eau en offrande aux divinités du fleuve et au Bouddha.
Une nouvelle exposition à TAEC Luang Prabang
Le naga est donc une figure incontournable de la vie spirituelle du Laos. La puissante créature, ancienne divinité locale intégrée au panthéon bouddhiste, incarne à merveille la superposition des principaux courants religieux en œuvre au Laos. Le culte dont elle fait encore aujourd’hui l’objet est représentatif du rapport encore quotidien qu’ont la plupart des Laotiens avec les forces, esprits ou divinités qui les entourent. Ce sont ces interactions, tantôt ordinaires, tantôt extraordinaires, que met à l’honneur la prochaine exposition du musée TAEC: Living Between Worlds, Humans and Spirit Interactions in Laos (Vivre entre les mondes ; interactions humains-esprits au Laos). Cette nouvelle exposition sera visible au Traditional Arts and Ethnology Centre (TAEC) de Luang Prabang dès septembre 2020.
Bonjour j étais au nord Laos et Luang Prabang en octobre 2019. Je suis passée au TAEC. J ai vu qq orchestre “de rue”. Je suis très intéressée par les musiques et instruments des pays que je visite. Pourriez vous me donner qq infos ou references sur ce sujet au Laos. Merci. Chantal
Bonjour Chantal,
Merci pour votre message et heureux que vous appréciez cet art envoûtant. Nous vous invitons à prendre contact avec le Centre des arts traditionnels et de l’ethnologie de Luang Prabang soit sur leur page facebook https://www.facebook.com/taeclaos ou leur email information@taeclaos.org. Vous pouvez également joindre Marie-Pierre Lissoir, auteure de cet article et l’interlocutrice idéale pour approfondir ce sujet.
Belle journée !
L’équipe 360 Indochine, blog d’Amica Travel.